Des innovations qui sentent bon

Les parfums et les arômes nous parlent d’émotions. Mais la technique reste incontournable. Gilbert Ghostine et Geneviève Berger nous expliquent pourquoi un respectable fabricant d’arômes et de parfums ne peut ignorer les hautes technologies.

Texte: Eric Johnson | Photos: Markus Bertschi | Magazin: Life & Science – Juillet 2017

Quelle est la plus grande innovation technique dans le secteur des parfums et des arômes ?

Berger: Grâce à notre savoir-faire dans le domaine des récepteurs olfactifs, nous avons opéré une véritable percée dans la maîtrise des odeurs désagréables. Ces 30 dernières années, notre équipe de recherche a construit une plate-forme de développement multidisciplinaire. Notre objectif est de neutraliser les mauvaises odeurs corporelles et autres dans la cuisine et l’hygiène. Pour être à la hauteur de sa réputation, notre recherche peut bénéficier de nos différentes expertises scientifiques : innovation analytique, biologie des récepteurs, chimie organique, science sensorielle et cognitive, développement et fabrication de parfums ainsi que technologies du dosage. Notre technologie agit contre les mauvaises odeurs en bloquant les récepteurs. Elle empêche donc la puanteur plutôt que de la « couvrir » par un parfum.

« Les odeurs sont le cœur de métier de notre entreprise. »

En quoi est-ce bon ?

Ghostine: Les mauvaises odeurs sont bien plus qu’une gêne subjective. Elles sont l’un des problèmes de santé majeurs dans les pays en développement. Aujourd’hui 2,5 milliards d’êtres humains n’utilisent pas d’installations sanitaires mais font leurs besoins en plein air. Ce qui entraîne la pro­pagation de maladies, une pollution de l’environnement et bien souvent un risque d’agression pour ces personnes. Les odeurs sont le cœur de métier de notre entreprise : nous savons qu’un nombre important de personnes n’utilisent pas les latrines mises leur disposition à cause des odeurs insupportables. C’est pourquoi nous avons conclu un partenariat avec la Fondation Bill & Melinda Gates. Ensemble, nous voulons réinventer les toilettes et accroître l’hygiène. Nous voulons que les gens puissent bénéficier de nos technologies de contrôle des odeurs en leur proposant des produits indispensables de rafraîchissement et de nettoyage des toilettes à la fois efficaces et financièrement abordables. Des latrines plus propres seront davantage utilisées. De cette manière, nous contribuons également à sauver la vie de 800 000 enfants de moins de cinq ans qui meurent chaque année de maladies liées au manque d’hygiène

Les arômes et les parfums sont donc davantage que des produits de luxe ?

Berger: Oui. Ce sont des produits scienti­fiques. La science est notre moteur de croissance. C’est pourquoi nous investissons 10 % de notre chiffre d’affaires dans la recherche et le développement. En 2016, ce montant était de 320 millions de francs suisses.

Top-Team

Gilbert Ghostine est né et a fait ses études au Liban. Il a ensuite débuté et poursuivi sa carrière auprès du géant des boissons Diageo avant de devenir le CEO de Firmenich fin 2014.

Geneviève Berger est titulaire de trois doctorats en physique, biologie et médecine. Elle a dirigé le dépar­tement de Recherche et dévelop­pement d’Unilever avant de prendre ses fonctions de directrice de la recherche chez Firmenich début 2015.

Comment convainquez-vous des scientifiques de travailler pour vous ?

Berger: Les 10 % d’investissement dans la R & D sont intéressants pour eux. Nous leur fournissons d’excellents outils et un soutien précieux. En travaillant dans la « salle des machines » de l’entreprise, ils sont au cœur des opérations. J’ai moi-même toujours appris avec passion pour repousser les frontières de la science. Car je veux améliorer la vie des gens. C’est pourquoi je suis déterminé à élargir les capacités et les possibilités de la division scientifique de Firmenich. Ce n’est qu’ainsi que nous développerons des produits nous permettant de relever les défis majeurs du monde actuel, comme l’obésité, la malnutrition ou l’accès à davantage d’hygiène et à des installations sanitaires. Les jeunes scientifiques d’aujourd’hui veulent faire quelque chose qui a du sens pour la société. Réinventer les toilettes leur offre une chance optimale.

« La nature est notre plus grand laboratoire de chimie. »

Y a-t-il d’autres exemples ?

Ghostine: Étant donné que nous sommes une entreprise privée, je n’ai pas le droit de vous révéler ce que nous avons dans nos tiroirs. Mais je peux mentionner une techno­logie, la « modulation du goût ». Nous avons développé des arômes qui permettent de conserver leur goût aux aliments malgré une teneur réduite en sucre, en sel ou en matières grasses. Pour vous donner une idée, nous avons ôté, l’année dernière, 100 000 tonnes de sucre des aliments et boissons consommés par nos clients. Cela correspond à près de 500 milliards de calories, sans porter atteinte au goût ou à la sensation en bouche. Et pour finir sur un dernier chiffre, à portée éco­logique, nous avons évité ainsi que 3000 poids-lourds de 40 tonnes se retrouvent sur la route. Un autre exemple. Pour garantir que le monde dispose à l’avenir de sources de protéines suffisantes pour se nourrir sainement, nous recherchons des sources de protéines alternatives, des lentilles et des légumineuses jusqu’aux insectes. Avec, toujours, la même volonté que ces aliments aient un goût agréable. Le client pourra ainsi consommer des protéines saines de manière plus durable.

Firmenich

En 1900, Fred Firmenich devient associé majoritaire dans l’entreprise de parfum que son beau-frère dirigeait depuis cinq ans, et remplace la raison sociale par son patronyme. Plus tard, l’entreprise évolue vers le secteur des arômes. Aujourd’hui, elle réalise un chiffre d’affaires de 3,2 milliards de francs suisses et emploie 6500 collaborateurs dans le monde entier.

www.firmenich.com

Firmenich fabrique de nombreux produits naturels. Les produits synthétiques ont-ils un avenir ?

Ghostine: Les ingrédients synthétiques, naturels et biotechniques ont tous leur objectif et leur fonction. Ils nous sont indispensables pour répondre durablement aux exigences des clients. La nature est le plus grand laboratoire de chimie du monde. Tout ce que nous faisons dans nos laboratoires est une imitation de la nature. Nous la copions pour la préserver. Il y a donc suffisamment de place pour les produits synthétiques et la biotechnologie « blanche ». Nous complétons ainsi nos ingrédients naturels. En d’autres termes, nous avons suffisamment de travail et de défis scientifiques à relever pour de nombreuses années encore.

Où voyez-vous votre entreprise dans dix ans ?

Ghostine: Nous sommes une entreprise familiale et poursuivons une vision à long terme. Notre réussite des 121 dernières années repose sur trois principes :

  1. Une volonté inébranlable de pratiquer une recherche de pointe.
  2. Des partenariats et une collaboration avec des experts partageant nos vues pour accroître l’efficacité.
  3. Une responsabilité convaincue envers la société. Les entreprises ne peuvent pas prospérer si la société ou l’environnement autour d’elles est en échec. C’est pourquoi nous travaillons de manière aussi responsable que possible.

Pour en revenir à votre question. Je ne sais pas exactement ce que nous ferons dans dix ans. Mais je peux affirmer que nous continuerons à gérer notre entreprise selon nos valeurs et ces trois principes.

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