La croissance doit être
planifiée de manière
stratégique

Magazine: Bigger, better, stronger – Décembre 2023

La plupart des entreprises visent la croissance afin de rester compétitives et de se maintenir sur le marché. Mais toute croissance s’accompagne de défis. Il faut donc que les cadres voient aussi le revers de la médaille, fait remarquer Mathias Binswanger, professeur d’économie politique à la Haute école spécialisée du Nord-Ouest de la Suisse.

Pour de nombreuses entreprises, la croissance est un pilier essentiel de la réussite et constitue un objectif stratégique. Elles veulent ainsi renforcer leur position sur le marché et accroître leur valeur et leur rentabilité. « La croissance est très bien accueillie par la plupart des entreprises », explique Mathias Binswanger, professeur d’économie politique à la Haute école spécialisée du Nord-Ouest de la Suisse à Olten et chargé de cours à l’université de Saint-Gall. « Elles y voient des opportunités entrepreneuriales – par exemple parce qu’elles peuvent ainsi acquérir un certain pouvoir sur le marché et peut-être même une position de monopole. » Mais pour assurer leur subsistance, les entreprises ne doivent pas nécessairement augmenter la taille de leur exploitation. Il est également possible d’opter pour une croissance qualitative plutôt que quantitative. « Les petites organisations en particulier peuvent se concentrer sur une niche et prospérer tout en conservant la même taille », explique Mathias Binswanger.

De la croissance à la surchauffe

Les entreprises qui se développent par leurs propres moyens proposent généralement des produits ou des services très prisés par leurs clients. Ce succès est positif, mais peut devenir un piège. Si la charge de travail se maintient longtemps à un niveau élevé, la pression sur les collaborateurs augmente. Il y a un risque de surchauffe avec des répercussions négatives sur le climat de travail. « Une charge de travail trop élevée ne doit pas perdurer. Sinon, cela peut entraîner des arrêts maladie, des licenciements ou même des erreurs », souligne Mathias Binswanger. Il incombe aux cadres de gérer positivement les phases de croissance : par une communication ouverte, des processus efficaces, la définition de priorités. Et en faisant les bons investissements au bon moment – par exemple dans de nouvelles technologies ou du personnel qualifié supplémentaire.

Difficulté à recruter du personnel

Trouver des collaborateurs qualifiés et les fidéliser représente toutefois un défi croissant pour de nombreuses organisations. Les raisons en sont la forte demande en personnel qualifié – tout particulièrement dans les professions techniques et de santé – ainsi que les nouvelles attentes des collaborateurs vis-à-vis de leur futur employeur. « Le problème est en partie créé par les entreprises. L’économie suisse s’est habituée à pouvoir recruter des collaborateurs à l’étranger en cas de besoin », explique Mathias Binswanger. « À long terme, cela comporte le risque de perdre des compétences. » Les entreprises tentent d’y remédier par différentes mesures : par exemple, en permettant des formes de travail flexibles et en investissant davantage dans la formation initiale et continue, ainsi que dans le développement de leur personnel.

Adapter les structures et développer la culture

Une fois que les entreprises sont parvenues à recruter, elles doivent adapter en permanence leurs structures à l’augmentation de leurs effectifs. Si dans les petites entreprises, les échanges sont souvent spontanés et verbaux, les organisations plus matures doivent concevoir des processus, déterminer les responsabilités et définir des règles et des règlements. « Les grandes entreprises ont besoin de davantage de systèmes de gestion. Avec à la clé une certaine anonymisation et un risque accru de bureaucratie », explique Mathias Binswanger. Il s’agit de créer des structures appropriées afin de préserver les forces spécifiques d’une entreprise lors de sa croissance.

Compte tenu des nombreux défis, la croissance doit toujours être une décision stratégique et ne doit pas être laissée au hasard. Les entreprises doivent déterminer dans quelle mesure elles souhaitent se développer et peser le pour et le contre.

Les phases de croissance s’accompagnent d’incertitudes

De manière générale, les phases de croissance des entreprises demandent une vigilance particulière. « Les impondérables sont plus importants que pendant les périodes de développement régulier. » L’arrivée de nouveaux collaborateurs, l’extension des capacités de production ou les activités de marketing nécessitent des investissements supplémentaires. La plupart du temps, les coûts de ces investissements ne sont pas immédiatement compensés par une augmentation du chiffre d’affaires et des bénéfices : il faut souvent un certain temps pour que les investissements portent leurs fruits. « Dans une phase de croissance, les coûts peuvent augmenter de manière disproportionnée, alors que le chiffre d’affaires et les bénéfices ne peuvent pas être estimés avec précision », fait remarquer Mathias Binswanger. Pour ces raisons, les étapes d’expansion doivent être bien préparées. Une planification minutieuse des investissements et des finances ainsi qu’un contrôle continu des coûts permettent de maintenir l’équilibre entre investissements et rentabilité.

Monitoring des opportunités et des risques

Même si les entreprises ont fait tout ce qu’il fallait, l’évolution de la croissance ne dépend pas entièrement d’elles. Des facteurs externes tels que la conjoncture ou les offres des concurrents ont également un rôle déterminant. Les nouvelles réglementations et lois ont également le potentiel d’augmenter ou de diminuer le succès de l’entreprise. Les entreprises doivent donc garder un œil sur les risques et les opportunités grâce à un monitoring professionnel. « Même si cela peut s’avérer très exigeant sur certains marchés, il est essentiel de planifier les choses à l’avance pour assurer une croissance durable », explique Mathias Binswanger. « Se baser sur la situation actuelle et penser que le développement se poursuivra de manière similaire est une mauvaise stratégie face à des conditions de marché en mutation rapide. »

La croissance est une décision stratégique 

Compte tenu des nombreux défis, la croissance doit toujours être une décision stratégique et ne doit pas être laissée au hasard. Les entreprises doivent déterminer dans quelle mesure elles souhaitent se développer et peser le pour et le contre. « Les cadres dirigeants ne doivent pas seulement voir les avantages de la croissance, ils doivent aussi réfléchir à ses conséquences », souligne Mathias Binswanger. Une certaine prudence est de mise : « C’est une erreur de management souvent commise que de vouloir grandir trop rapidement dans les phases de croissance. » Avant de procéder à des investissements et d’engager des collaborateurs supplémentaires, les décideurs devraient analyser dans quelle mesure la croissance actuelle est durable. S’agit-il d’un phénomène à court terme ou d’une évolution du marché à long terme ? Pour Mathias Binswanger, il s’agit d’une question cruciale.