Texte: Rédaction magazine ceo | Photos: Marc Wetli | Magazine: Confiance dans l’ère numérique – Décembre 2017
#solide #déterminé #modeste
Herbert Bolliger, président de la Direction générale de la Fédération des coopératives Migros a passé presque toute sa vie professionnelle au service de la plus grande entreprise suisse du commerce de détail. Dès le début, il a été en contact avec l’informatique. Aujourd’hui, l’économiste considère les opérations en ligne en forte croissance comme l’un des plus grands défis pour le commerce. Commande vocale et sécurité dans le traitement de données sensibles sont pour lui les thèmes centraux de la transition numérique.
Quels sont les trois mots-clés que vous associez personnellement à la notion de confiance ?
Honnêteté, fiabilité et transparence.
Quelle importance accordez-vous à la confiance dans le travail quotidien ?
Je considère la confiance comme l’élément fondamental de la collaboration dans une entreprise. La confiance est un facteur de succès déterminant. À une époque où tout s’accélère et où les informations sont accessibles à tous, la confiance revêt une importance cruciale.
Migros fait partie des marques considérées comme les plus dignes de confiance en Suisse. Comment préserve-t-on ce statut, où est le danger ?
C’est pour nous un défi majeur et permanent. Nous devons répondre aux attentes de notre clientèle et respecter la promesse que nous lui faisons. Diligence et engagement sont des vertus centrales en la matière. Mais nous ne sommes pas infaillibles. Lorsqu’un problème survient, nous devons communiquer sans délai et en toute franchise. La transparence crée de la confiance.
« Les frontières entre commerce physique et commerce numérique disparaissent de plus en plus. Les deux se mêlent désormais. »
En tant que l’un des employeurs les plus importants du pays, vous-même et des milliers de supérieurs hiérarchiques devez avoir une grande confiance dans vos employés. Comment créer et encourager une culture d’entreprise basée sur la confiance ?
Les valeurs fortes de Migros, définies en son temps déjà par son fondateur Gottlieb Duttweiler, sont des repères créateurs de confiance. Nous les avons conservées telles quelles et les gardons en permanence à l’esprit. Les cadres doivent les connaître et les vivre. Nous pratiquons par ailleurs un style de direction collaboratif et discutons de nos thèmes importants au sein d’équipes mixtes et souples. Avec ses très nombreuses entreprises indépendantes, Migros n’est pas une entreprise à structure hiérarchique gérée du haut vers le bas.
Le numérique n’épargne pas le commerce de détail. Comment l’a-t-il modifié ?
La transition numérique est un processus permanent, avec de très nombreuses facettes. Les frontières entre commerce physique et commerce en ligne s’effacent toujours plus devant la multitude de possibilités pour les clients d’acquérir leurs marchandises. Ils peuvent acheter en ligne, rendre en magasin, regarder en ligne, acheter en magasin – à leur gré. Cela se traduit pour nous par une logistique toujours plus exigeante : les produits doivent parvenir physiquement d’un lieu à un autre, toujours plus vite et avec ponctualité.
Herbert Bolliger est le président de la Direction générale de la Fédération des coopératives Migros (FCM) depuis mi-2005. Auparavant, il a dirigé la Coopérative Aare. Entré en 1983 chez Migros, Bolliger (64 ans) a passé presque toute sa vie professionnelle chez le plus grand détaillant de Suisse. Durant son mandat, Migros a acquis notamment le discounteur Denner, l’enseigne de mode Schild ainsi que celle de commerce en ligne Digitec/Galaxus. Il remet ces jours, pour raisons d’âge, ses fonctions à Fabrice Zumbrunnen. Bolliger a étudié l’économie d’entreprise à l’Université de Zurich. Marié, il est père de deux enfants adultes et vit à Wettingen AG.
Quelles technologies disruptives attendez-vous pour le commerce à plus long terme, et comment vous préparez-vous ?
La commande vocale. Aujourd’hui déjà, il existe des appareils à qui on peut donner des ordres. L’avenir sera au « Vas faire les courses et remplis le réfrigérateur ». Les robots effectueront des tâches simples, répétitives. Ils nous ressembleront davantage et travailleront à nos côtés et avec nous.
Avec des offres comme LeShop, Galaxus et Digitec, Migros occupe largement le canal en ligne. Les débuts sont encore timides. Les clients manquent-ils de confiance pour acheter de cette manière ?
Non, l’évolution est rapide et inéluctable. Il y a de grandes différences selon les groupes de marchandises, dues aux caractéristiques des produits. Pour les denrées alimentaires où la fraîcheur et la proximité comptent et où la logistique est complexe, la part de chiffre d’affaires est encore faible, avec environ 1,8 %. La Suisse dispose aussi d’un réseau très dense de points de vente. Dans d’autres domaines, comme l’électronique, la part atteint déjà largement 30 %, et dépasse même 50 % pour les contenus de médias d’Ex Libris. Les textiles refont actuellement leur retard. Mais ce n’est pas l’un ou l’autre. De nombreux consommateurs utilisent des formes mixtes. Ils regardent quelque chose au magasin et commandent en ligne, ou se font livrer les articles à domicile. Et ils veulent communiquer avec l’entreprise, y compris via les médias sociaux.
Selon vous, qu’est-ce qui prime : les risques ou les chances liées au progrès numérique ?
Très clairement les chances. On ne voit pas de limites aux possibilités qui s’offrent à nous, alors que l’on peut cerner les risques. Les informations sont disponibles partout et à tout moment, le confort et l’aspect pratique sont des moteurs importants. Il reste encore un grand potentiel d’automatisation et d’intelligence artificielle dans la production, la transformation et l’emballage. Il faut aussi une volonté dans l’entreprise pour changer et s’adapter au rythme rapide. Sans pour autant perdre de vue les craintes que le changement rapide peut susciter et les réactions de refus dans la société.
« La sécurité informatique est un défi permanent. Nous venons juste d’étoffer notre département ad hoc pour être prêts à toute éventualité. »
Quels aspects de votre vie personnelle la transformation numérique a-t-elle le plus modifiés ?
La joignabilité permanente, l’échange intensif avec autrui, la quantité d’informations et la rapidité avec laquelle elles se répandent ont modifié le quotidien, pas seulement le mien.
Où placez-vous les thèmes de la confiance et de la sécurité dans votre agenda ?
Très haut sur la liste, car elles sont fondamentales pour la réputation d’une entreprise telle que Migros. La sécurité informatique est un défi permanent. Je compare volontiers les investissements à la course aux armements durant la Guerre froide. Nous venons précisément d’étoffer le département informatique pour être encore mieux protégés contre la cybercriminalité. Ce qui me préoccupe est l’énergie destructrice qui anime certains hackers. Nous avons déjà subi des attaques. C’était très destructif et a causé de gros dommages. L’important est de réagir rapidement en cas d’urgence et de pratiquer une communication transparente.
Le programme Cumulus fournit à Migros des données très précises sur le comportement d’achat des clients. Quelle est votre attitude face aux attentes de vos clients en matière de sécurité et de protection de la sphère privée ?
Lorsque nous avons lancé Cumulus, la sécurité des données avait la priorité absolue. Nous sommes conscients que la confiance naît de la fiabilité dans le traitement des données, d’une communication ouverte et d’une transparence réelle. Je vous cite un exemple. Lorsque nous devons rappeler un produit, nous savons, grâce à Cumulus, qui a acheté le produit et quand, et pouvons ainsi informer directement les clients concernés. Une chose très appréciée.
Avec un chiffre d’affaires de 27,7 milliards de francs (2016), dont 6,5 % proviennent des opérations en ligne, le groupe Migros organisé en coopérative est la plus grande entreprise de commerce de détail de Suisse. Migros est aussi le plus grand employeur privé, avec plus de 100’000 collaborateurs.
www.migros.ch
Comment faites-vous pour garder des produits et services innovants dans le « pipeline » ?
Nous restons en phase avec le temps en utilisant de nombreuses sources et ressources. Par exemple, nous échangeons régulièrement avec les experts de l’Institut Gottlieb Duttweiler, qui se penchent sur les thèmes d’avenir. Nous nous engageons aussi dans l’initiative digitalswitzerland et avons été des promoteurs de la première heure de l’Impact Hub Zurich, qui offre un hébergement aux start-ups. Nous recherchons le contact avec de jeunes entreprises et recourons à nos coopérations avec l’EPFZ et l’Université de Saint-Gall, par exemple sur le thème du commerce numérique et durable. Par ailleurs, nous avons des équipes d’innovation dans tous les domaines du monde de Migros. L’important est de sélectionner les bonnes idées parmi le grand nombre et de les concrétiser dans des projets.
À votre avis, quelle devrait-elle la bonne attitude des dirigeants dans le monde du travail (numérique) ?
Tous, y compris les hauts dirigeants, devraient se perfectionner régulièrement dans le numérique. Nous devons réfléchir à la forme que prendra le poste de travail du futur et aux moyens de communiquer avec les collaborateurs. Dans la vente par exemple, les gens ne sont pas assis devant des écrans. Pour qu’ils reçoivent les informations importantes à partir de l’Intranet, nous avons développé notre propre application. Car aujourd’hui, tout le monde a un téléphone portable.
Quels canaux de communication utilisez-vous personnellement pour atteindre vos collaborateurs ?
Cela dépend de la situation : par SMS, lorsque les choses doivent aller vite ou si je suis en déplacement. Au bureau, j’utilise bien sûr beaucoup le courrier électronique. Mais j’aime encore mieux traiter les questions en suspens par téléphone, cela évite des va-et-vient inutiles. Si je peux me déplacer personnellement, je le fais car j’aime les rencontres directes.
Nous sommes tous joignables en permanence en ligne. Quelle importance accordez-vous aux oasis de déconnexion ?
Le week-end ou durant les vacances, je pose sciemment mon téléphone portable. Car nombre de messages ou d’informations qui me parviennent alors peuvent souvent attendre le lundi. Durant les vacances, je contrôle mes courriers électroniques une heure par jour, pour ne pas être submergé à mon retour.
Après 30 ans chez Migros, vous passerez prochainement le relais à votre successeur, Fabrice Zumbrunnen. Que vous reste-t-il de ce temps, quels sont vos projets et qu’est-ce qui vous manquera ?
Je peux poser un regard satisfait et reconnaissant sur une très belle période. Les nombreux contacts et rencontres me manqueront. S’il y a un plan pour après, ce sera justement de ne pas faire de plan. J’aimerais bien rayer le mot « planifier » de mon vocabulaire.
Herbert Bolliger
Questions brèves – réponses brèves
Quelle question n’avons-nous pas posée, à laquelle vous aimeriez toutefois répondre ?
« Qu’est-ce qui fait le succès éclatant de Migros ? » Je n’entends presque jamais cette question. La réponse est : parce que les souhaits et les besoins de nos clients nous tiennent à cœur. Parce que nous sommes honnêtes, fiables et transparents.
« La confiance, c’est bien, le contrôle, c’est mieux » – que pensez-vous de ce proverbe ?
Je cautionne, je l’appliquais volontiers à l’armée. Mais le contrôle doit être adapté à la situation. Parfois, il suffit d’opérer un contrôle pointu par an, d’autres fois, vaut mieux le faire chaque jour.
Quelle est votre application préférée sur le smartphone ?
C’est un petit programme qui me signale les radars. Mais on ne peut pas l’utiliser en ville. Il sonne en permanence parce qu’il y a des radars partout.
Vous souvenez-vous de votre premier téléphone portable ? De quel modèle s’agissait-il ?
Je pense que c’était un Nokia, probablement modèle « âge de pierre ».