Du big data à la big intelligence... quelle distance les sépare encore ? Et serons-nous vraiment plus intelligents après ?
Le lien est total et il n’y a pas trop lieu de les séparer. Ils s’alimentent mutuellement. L’intelligence repose sur de l’information et un traitement particulier de cette information, afin de produire du sens qui peut être mobilisé avantageusement dans l’action. Les capacités de traitement, seules, n’apportent pas grand-chose, si ce n’est dans des environnements artificiels tels qu’un jeu comme le Go. Les données, seules, ne sont pas plus utiles, surtout lorsqu’elles sont si nombreuses. Ceux qui maîtrisent l’association des deux sont les gagnants, et il s’avère que ce sont souvent les mêmes... IBM, de ce point de vue, adopte une approche singulière, adaptée à des environnements spécialisés, dans la santé ou l’urbanisme, mais Google dispose d’un avantage majeur dans ces domaines, en travaillant au plus près des pratiques individuelles.
Est-ce vraiment une révolution de voir un ordinateur gagner au jeu de Go ou une voiture rouler de manière autonome ?
Oui, car les effets sont profonds : cela restreint le domaine de performance propre à l’humain. La conduite est une activité par nature multifonctionnelle. Le jeu de Go fait appel à la pensée stratégique et à l’intuition. À mesure que des activités aussi complexes sont réalisées par des machines, nous redéfinissons l’intelligence et le propre de l’humain.
« La vraie difficulté est de penser le changement. »
Un vrai tournant pour l’humanité ?
En tout cas un moment décisif pour l’humanité. Nous avons déjà connu une révolution puissante avec la délégation mécanique : l’articulation de l’énergie et du métal. Aujourd’hui, nous assistons à une délégation cognitive : l’articulation de l’énergie et de l’information. Or, l’association de la délégation mécanique et cognitive est très puissante. La voiture autonome et la robotique industrielle n’en sont que quelques émergences. Nous devons penser le monde qui vient en d’autres termes.
Faut-il le craindre ou s’en réjouir ?
Politiquement, c’est une opportunité d’émancipation unique, mais ce sera une liberté seulement si elle est pensée activement, car elle affecte les fondements des démocraties modernes, la répartition de la valeur produite et la place de chacun dans la collectivité. L’enjeu est d’une rare complexité.
« Les gains de productivité de la numérisation vont-ils libérer du temps plus désirable, ou réinvestirons-nous ce temps dans d’autres tâches ? Cela rejoint la problématique de la déconnexion et de la sobriété. »
Faites-vous allusion à la concentration de la productivité, comme elle apparait déjà aujourd’hui dans le phénomène GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) ?
Cet acronyme est très problématique, car ces entreprises n’ont rien à voir les unes avec les autres, si ce n’est d’être devenues importantes avec le développement de l’informatique personnelle, de la téléphonie mobile et d’Internet. Leurs modèles économiques sont très différents, en particulier dans le domaine des big data. Pour s’en convaincre, il suffit de suivre l’argent et de se demander tout simplement quels sont leurs clients : grossièrement, les clients d’Apple sont les utilisateurs, les clients d’Amazon sont les vendeurs et les acheteurs et ceux de Google et de Facebook sont les annonceurs.
Le risque de concentration reste néanmoins tout à fait inédit. Avec le développement de l’intelligence artificielle, cette concentration va s’accroître encore. Ce n’est pas étonnant que Google soit aussi de plus en plus présent dans le transport et la santé. Apple et la téléphonie est aujourd’hui une évidence, mais cela n’allait pas de soi quand ils se sont lancés dans le domaine il y a à peine dix ans.