Rendre la défiance mesurable
Pour les entreprises, la défiance est avant tout une charge qui génère des coûts de contrôle accrus ou nécessite des efforts pour rétablir la réputation. La défiance suscite du stress et de la résistance chez les personnes concernées ; elle peut conduire à de l’hostilité et à des conflits. Pour en avoir déjà fait l’expérience, Weibel sait que la défiance peut déclencher des symptômes physiques. « C’est une situation qui peut occasionner des problèmes rénaux, des maux de ventre et des troubles du sommeil. » Elle a décidé alors de continuer à chercher dans ce domaine.
Elle nous explique l’approche du dernier projet de recherche : « Nous voulons trouver des indicateurs pour mesurer la défiance et éclairer le processus d’apparition de cette défiance et ses effets. » Une des questions qui se posent est de savoir comment retrouver la confiance perdue et ce que devraient faire les entreprises après un cas de perte de confiance. Lorsque les attentes des parties prenantes envers une entreprise sont élevées, la chute peut être particulièrement rapide. La transparence est alors le maître mot. Bien sûr, il est généralement plus facile d’expliquer des problèmes techniques qu’un acte délibérément malveillant. Mais dans tous les cas, elle conseille de « ne pas garder le silence et ne pas rejeter simplement la responsabilité sur les subalternes. Il faut faire preuve d’expiation et rechercher le dialogue avec les parties prenantes concernées. Une simple excuse n’est pas suffisante. »
Il n’y a aucun mal à faire preuve d’un peu de générosité et d’autocritique dans ce type de situation. Il faut montrer à l’autre partie qu’on la prend et se montrer sensible à ses préoccupations. La professeure ajoute : « Pour conserver son agilité et sa liberté, il est nécessaire de régler correctement et définitivement un tel cas, d’en tirer les conséquences qui s’imposent et d’introduire les mesures nécessaires. »
Être à l’écoute et faire preuve de courage
En affaires, des contrats permettent de garantir la confiance. Weibel ajoute qu’ils doivent être conçus de manière à orienter le comportement des partenaires dans la bonne direction. Les fournisseurs s’interrogent. L’entreprise est-elle fiable, paie-t-elle dans les délais ? Quelles sont nos relations, me lâchera-t-elle en cas de doute ? Les collaborateurs aussi, qui se sentent encore plus vulnérables en tant qu’individus, se posent des questions, sur leur carrière, l’évolution de leur salaire et sur leur propre image. Jusqu’où va la loyauté de mon employeur à mon égard ? Quelle valeur ai-je pour lui ? Les supérieurs hiérarchiques devraient pouvoir écouter et avoir le courage d’exprimer aussi des choses désagréables. La confiance est aussi à ce prix.
Le type de gestion du personnel, les moyens utilisés et les méthodes appliquées peuvent susciter tant la confiance que la défiance. La gestion basée sur la performance, largement répandue dans le monde de l’entreprise, en est un excellent exemple. L’objectif étant les primes, tout tourne autour des objectifs fixés, des chiffres réalisés, des résultats obtenus et des évaluations. Le signal donné aux collaborateurs est le suivant : le travail fourni est mesurable et la motivation découle extrinsèquement d’incitations financières. Ce qui fait parfois passer à la trappe d’autres critères d’évaluation de valeur pour les employés, comme la confiance qui leur est accordée, les tâches exigeantes qui leur sont confiées ou un environnement de travail attrayant.
Les entreprises n’existent que grâce aux personnes qui y travaillent, avec toutes leurs forces et leurs faiblesses. Les rôles des acteurs ne sont pas figés : parfois on est un individu, parfois on représente l’entreprise, mais toujours les actes sont dictés par des normes et des règles imposées. Aujourd’hui, on attend des dirigeants, comme d’un CEO par exemple, qu’ils s’engagent et prennent position, notamment sur des thèmes sociétaux importants comme le changement climatique ou l’avenir du travail.
L’équilibre n’est pas toujours simple à trouver : ne pas craindre d’être sur le devant de la scène, sans pour autant produire un effet narcissique ou héroïque, et avoir le courage, malgré toutes les exigences de conformité et de politiquement correct, d’oser prendre une fois une décision spontanée. Mais il est ensuite important, insiste Weibel, de passer de la parole aux actes. Car, comme Horace, poète satirique romain, le disait déjà : « Trop de promesses nuisent à la confiance. » À la question de savoir comment elle, en tant que directrice d’un institut, traite la confiance dans son équipe, Weibel répond : « Je laisse beaucoup de liberté à mes collaboratrices et à mes collaborateurs. »